Quand la manifestation tourne à l'émeute : les affrontements violents entre forces de l'ordre et manifestants en Côte d'Ivoire.


Autoria(s): Doumbia, Nabi Y.
Contribuinte(s)

Tanner, Samuel

Cusson, Maurice

Data(s)

27/10/2016

31/12/1969

27/10/2016

28/09/2016

29/03/2016

Resumo

Les manifestations de crise, en Côte d'Ivoire, ont été extrêmement violentes. Au cours des quinze dernières années, plus de 400 personnes sont mortes, tuées dans des affrontements avec les forces de sécurités ou des contre-manifestants. Malgré la gravité du problème, peu d’études scientifiques y sont consacrées et les rares analyses et enquêtes existantes portent, de façon unilatérale, sur l’identité et la responsabilité pénale des auteurs et commanditaires putatifs de cette violence. La présente étude s’élève contre le moralisme inhérent à ces approches pour aborder la question sous l’angle de l’interaction : cette thèse a pour objectif de comprendre les processus et logiques qui sous-tendent l’usage de la violence au cours des manifestations. Le cadre théorique utilisé dans cette étude qualitative est l’interactionnisme symbolique. Le matériel d’analyse est composé d’entrevues et de divers documents. Trente-trois (33) entrevues semi-dirigées ont été réalisées avec des policiers et des manifestants, cooptés selon la technique de la boule de neige, entre le 3 janvier et le 15 mai 2013, à Abidjan. Les rapports d’enquête, de l’ONG Human Rights Watch, sur les manifestations de crise, les manuels de formation de la police et divers autres matériaux périphériques ont également été consultés. Les données ont été analysées suivant les principes et techniques de la théorisation ancrée (Paillée, 1994). Trois principaux résultats ont été obtenus. Premièrement, le système ivoirien de maintien de l'ordre est conçu selon le modèle d’une « police du prince ». Les forces de sécurité dans leur ensemble y occupent une fonction subalterne d’exécutant. Elles sont placées sous autorité politique avec pour mandat la défense inconditionnelle des institutions. Le style standard de gestion des foules, qui en découle, est légaliste et répressif, correspondant au style d’escalade de la force (McPhail, Schweingruber, & Carthy, 1998). Cette « police du prince » dispose toutefois de marges de manœuvre sur le terrain, qui lui permettent de moduler son style en fonction de la conception qu’elle se fait de l’attitude des manifestants : paternaliste avec les foules dites calmes, elle devient répressive ou déviante avec les foules qu’elle définit comme étant hostiles. Deuxièmement, à rebours d’une conception victimaire de la foule, la violence est une transaction situationnelle dynamique entre forces de sécurité et manifestants. La violence suit un processus ascendant dont les séquences et les règles d’enchainement sont décrites. Ainsi, le premier niveau auquel s’arrête la majorité des manifestations est celui d’une force non létale bilatérale dans lequel les deux acteurs, protestataires et policiers, ont recours à des armes non incapacitantes, où les cailloux des premiers répondent au gaz lacrymogène des seconds. Le deuxième niveau correspond à la létalité unilatérale : la police ouvre le feu lorsque les manifestants se rapprochent de trop près. Le troisième et dernier niveau est atteint lorsque les manifestants utilisent à leur tour des armes à feu, la létalité est alors bilatérale. Troisièmement, enfin, le concept de « l’indignité républicaine » rend compte de la logique de la violence dans les manifestations. La violence se déclenche et s’intensifie lorsqu’une des parties, manifestants ou policiers, interprète l’acte posé par l’adversaire comme étant en rupture avec le rôle attendu du statut qu’il revendique dans la manifestation. Cet acte jugé indigne a pour conséquence de le priver de la déférence rattachée à son statut et de justifier à son encontre l’usage de la force. Ces actes d’indignités, du point de vue des policiers, sont symbolisés par la figure du manifestant hostile. Pour les manifestants, l’indignité des forces de sécurité se reconnait par des actes qui les assimilent à une milice privée. Le degré d’indignité perçu de l’acte explique le niveau d’allocation de la violence.

Demonstrations in Côte d’Ivoire have been extremely violent. During the past 15 years, more than 400 people have been killed during demonstrations. Despite the importance of the problem, only a few scientific studies address this issue and the current approaches of the existing ones deal with the legal responsibility of police officers or the psychology of political authorities’, neglecting a crucial level of analysis: the interacting group process out of which violence emerge. We consider violence as a situated transaction between police officers and protesters. Therefore, the present thesis aims to understand the process and logic underlying the use of violence during demonstrations. Symbolic interactionism is the guiding framework of this qualitative inquiry. The materials of analysis consist of interviews and various documents. 33 respondents among which 20 police officers and 13 protesters selected through a purpose sample, by the snowball technic. The police officers are all from the main riot control agencies: the CRS and the BAE. They totalized 12 years of experience in these paramilitary corps, and most of them took part to the latest violent demonstration of 16 December. The 13 protesters recruited through the same way are mob leaders, locally called ‘’street generals’’. They have been protesting since the 2000s’ and took part in one at least of the four major violent demonstrations of the country. The inquiry was conducted from January to April 2013. Other documents have been consulted: inquiry reports of the American NGO Human Rights Watch, training manuals of police officers and other minor sources. The analysis conducted following the procedures of the grounded theory, produced important insights on protest violence. First, the analysis revealed the rigidity of a peacekeeping system with a ‘’king police’’ resolutely devoted to the defense of the institutions at the expense of civil liberties. In fact, the decision to ban a particular protest, the appreciation of police intervention opportunity as well as the definition of the assignment of this intervention, are all taken by civil authorities. Police officers have a subaltern function limited to the dispersion of ban protests and the backing of the permitted ones. Therefore the main style of policing is a legalist one corresponding to the so called escalating of force (McPhail, Schweingruber, & Carthy, 1998). But despite this structural constraint, police officers chose their style on the ground in respect to their perception of crowd attitude. Depending on this attitude, their style could be paternalist, characterized by an under enforcement of the law with quiet demonstrators or be repressive or deviant, based on a strong enforcement, toward people labeled hostiles. Second, the results suggest that violence is a situated transaction between police officers and the crowd. The spiraling interactive process of violence climbs three escalatory levels. It shift from a bilateral nonlethal violence in which police use gas when protesters respond by throwing missiles, to a unilateral lethal violence due to the use of firearms by the police, and end by a bilateral lethal violence where both police and civils use firearms. Finally, groups use violence when they interpret the attitude of their counterpart to be a republican indignity. In fact, demonstrations rest on some structural rules from which interacting groups interpret their actions each other. These rules, rooted on the republican form of the state, mean pacifism (for crowd) and employing the least violence possible (for police officers). Violence broke out and escalates when one group interpret the action of his adversary not to fit these rules. The consequences of this appreciation are the taking away of the deference due to his status and the right to use violence against him, when materially capable and if violence is conforming to one’s own identity. The actions interpreted as unworthy by police officers are portrayed under the figure of hostile crowd. Conversely, protesters frame excessive use of force, and house violations as a ‘’republican indignity’’.

Identificador

http://hdl.handle.net/1866/16007

Idioma(s)

fr

Palavras-Chave #Indignité républicaine #Maintien de l'ordre #Styles de policing #Violences urbaines #Manifestations violentes #Transitions démocratiques #Émeutes #Côte d'Ivoire #Afrique #Republican indignity #Protest policing #Riots #Youth and urban violence #Mob psychology #Africa #Répertoire #Sociology - Criminology and Penology / Sociologie - Criminologie et établissements pénitentiaires (UMI : 0627)
Tipo

Thèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation